Jungles & forêts, le son des bois (café musical #5)

Promenons-nous dans les bois... Lors de ce café musical nous avons d'abord tendu l'oreille vers les forêts équatoriales, goûtant le baroque métissé des indiens Canichanas d'Amazonie ou les polyphonies des Pygmées Aka de Centrafrique, et flânant au chant du coupeur d'okoumé gabonais (Pierre Akendengue). Puis nous nous sommes tourné vers l'évocation de la forêt en musique : prétexte à variations chez William Byrd ("The woods so wild"), inspirant les improvisations débridées d'un Hermeto Pascoal ("Mundo verde esperança") ou la fantaisie d'un Arthur H ("Marc Perrone dans la jungle"). Enfin, chacun à leur manière, l'orchestre de Duke Ellington ("Echoes of the jungle") et Congo Natty ("Jungle is I and I") ont illustré la jungle urbaine, du Black Harlem de 1931 à Londres aujourd'hui.
Encore une fois, un certain nombre de titres ne sont pas disponibles sur internet : nous avons complété la playlist suivante par les bûcherons de Félix Leclerc, l'accordéon guarani de Raul Barboza, les murmures de la forêt de Wagner et les mises en musique successives du "Livre de la Jungle" de Kipling par Charles Koechlin et l'extraordinaire Louis Prima.

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Constellation Records, le rock indépendant du Grand Nord canadien

      Après Makasound et Born Bad Records, continuons notre exploration des labels indépendants de référence.
      Constellation Records est fondé en 1997 à Montréal par Ian Ilavsky et Don Wilke. Dès le départ, avec les différents groupes qu'il produit, le label véhicule une image fortement anticapitaliste et altermondialiste. L'emballage de leurs disques, reconnaissable au premier coup d'œil, reflète aussi ces principes alternatifs : la boîte conventionnelle des disques compacts est proscrite et le packaging des albums est le plus souvent réalisé à la main par des artistes locaux. De plus, Constellation essaie d'éviter au maximum les grandes filières de distribution comme la FNAC ou Virgin Mégastore et privilégie les commerces de proximité et surtout les disquaires indépendants.

      On associe généralement ce label au mouvement dit "post-rock" bien qu'il ne s'en réclame pas. Ce terme a été inventé par un critique musical, Simon Reynolds, dans les années 90 pour décrire la musique de groupes qui ont, au final, peu de choses en commun, et qui auront à cœur de réfuter cette catégorisation. Néanmoins, il s'applique à des groupes de rock à tendance expérimentale, qui utilisent l'instrumentation du rock (guitare-basse-batterie), mais en incorporant des instruments, des rythmes, des harmonies et des mélodies qui ne le sont pas. Certains s'inspirent ainsi des musiques ethniques contenant des bourdons, c'est-à-dire comportant une même note ou un accord joué en continu. On retrouve notamment cette technique dans la musique indienne où la tampoura accompagne les ragas d'un bourdonnement monotone.


      Le plus souvent, les groupes englobés dans ce sous-genre composent des morceaux instrumentaux longs, à la structure répétitive mais évolutive. Le post-rock incorpore aussi les caractéristiques de nombreux genres musicaux : rock progressif, ambient, jazz, krautrock, musique minimaliste, etc. Avant de revenir plus en détails sur les deux groupes les plus connus du label, voici la liste des autres groupes du label et de leurs disques que vous pouvez trouver dans nos bacs : Black Ox Orkestar, Do Make Say Think, Esmerine, Evangelista, Feu Thérèse, Fly Pan Am, Glissandro 70, HRSTA, Re:, Siskiyou, Vic Chesnutt.

(Cliquez sur une pochette pour accéder à la notice correspondante)
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      Vous retrouverez dans cette playlist un extrait de chaque album ci-dessus. Par contre, vous n'avez pas besoin de rester devant votre écran, car vous ne verrez aucun clip (si ce n'est la vidéo du show-case de Vic Chesnutt à la toute fin) : ce n'est pas le genre des canadiens. De nos jours, via Internet, la vidéo, les clips tendent à prendre une place plus importante que la musique en elle-même. Les artistes signés chez Constellation Records refusent de brouiller et de parasiter leur musique avec de l'image : ils ne s'intéressent qu'à vos oreilles.

Focus sur les deux principaux groupes du label :
- Godspeed You! Black Emperor est créé en 1994 par Efrim Menuck et Mauro Pezzente, mais le groupe s'élargit rapidement à une quinzaine de membres. Difficile de les connaître autrement que par leur production musicale puisque le groupe communique très peu avec les médias. Leurs compositions peuvent durer de 10 à 30 minutes, et sont souvent divisées en plusieurs mouvements. Sur une même plage, leur musique oscille entre sérénité lumineuse et chaos strident, noirceur déprimante et enthousiasme furieux. Leurs influences musicales sont très diverses : on peut leur trouver des inspirations du côté de la musique d’avant-garde (Steve Reich, Philip Glass) et du rock progressif (King Crimson, Can), mais avec l'introduction d'éléments plus agressifs, plus punks. Après plusieurs albums de grande qualité entre 1997 et 2002, le groupe s’arrête pendant 10 ans pour développer d’autres projets musicaux comme Fly Pan Am et A Silver Mt. Zion. Ils se reforment en 2012 et réalisent un nouvel album suivi d'un second paru en 2015.
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- A Silver Mt. Zion a la particularité d’avoir beaucoup changé de nom : The Silver Mt. Zion Memorial Orchestra & Tra-la-la Band ou encore Tra-la-la Band with Choir and Thee Silver Mountain Reveries. Fondé par trois membres de Godspeed You! Black Emperor, ce projet permet au guitariste Efrim Menuck d'expérimenter le rôle de chanteur, tandis que les cordes (violons et violoncelles) y prennent une place majeure. Les paroles, coécrites par tout le groupe, sont clairement engagées : le nom de leur dernier album ("Fuck Off Get Free We Pour Light On Everything") laisse d'ailleurs peu de place au doute sur leurs intentions. Sympathisants du mouvement anarchiste, leur musique oscille entre rage et désespoir, tentative de rébellion et résignation face à une apocalypse programmée. Les cris débridés laissent place aux paroles chuchotées qui se terminent à leur tour en chant choral : une apparente anarchie qui cache une harmonie permanente.
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Encore du Constellation !!! (mise à jour au printemps 2017)
Depuis que cette chronique est parue, plusieurs autres disques du label se sont glissés dans les bacs de la médiathèque : on retrouvera ainsi Ought et sa pop post-punk nerveuse, le duo entre Sarah Neufeld (violoniste proche du groupe Arcade Fire) et le saxophoniste Colin Stetson (adepte de l'improvisation free et du rock indie), et enfin les trois fabuleux chapitres de l'histoire afro-américaine retracée par la saxophoniste Matana Roberts, issue de l'AACM (Association for the Advencement of Creative Musicians) de Chicago : une musique convoquant spirituals et blues, jazz et envolées free, électronique et spoken word...

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Petit florilège des musiques qui broient du noir #8

Délectations morbides : éros & thanatos, 
du madrigal à l'opéra 

« ...lequel a été à ce point capable, comme en témoigne les gémissements plaintifs de sa musique, d'exprimer l'intensité des diverses émotions en donnant à voir la chose comme si elle se produisait, que l'on peut se demander si c'est la suavité des émotions qui confère sa beauté à la plainte du chant, ou le chant plaintif des voix à la suavité des émotions. »
 Samuel Quickelberg, 1566

Au terme de ce parcours, nous ne pouvons que constater les relations ambiguës qu'entretiennent peine et plaisir musical. 
Quels que soient nos goûts, n'avons-nous pas tous pu, à l'écoute de telle ou telle musique qui nous apparaissait comme sublime, éprouver une émotion intense, presque douloureuse, se manifestant dans notre corps même (frissons, larmes aux yeux, soupirs…)  ? 
Cette expérience ponctuelle d'un plaisir musical subtilement assaisonné de souffrance est parfois habilement cultivée par le compositeur : songeons par exemple à l'emploi des dissonances & aux chromatismes délicieux autant que douloureux des madrigaux du prince Carlo Gesualdo, à l'œuvre aussi sensuelle et ténébreuse qu'audacieuse… Voilà une écriture musicale qui illustre parfaitement une poétique alliant sous-entendus érotiques et morbides : on ne cesse d'y mourir de désir.

Gesualdo : "Je meurs, hélas, de ma douleur..."

Mais en ce domaine rien n'égale cette formidable machine à représenter les passions qu'est la tragédie en musique, le drame lyrique, c'est-à-dire l'opéra.
Car depuis le lamento d'Arianna mis en musique par Monteverdi en 1607, l'opéra n'en finit pas de mettre en scène des héroïnes bafouées, trahies, humiliées, sacrifiées, amoureuses mourant en musique pour le plus grand délice des mélomanes.
« Les femmes, sur la scène, chantent leur éternelle défaite. Jamais l'émotion n'est si poignante qu'au moment où la voix s'élève pour mourir » écrit Catherine Clément dans son livre "L'opéra ou la défaite des femmes".
On adore la diva dont on vient voir (et écouter) la mise à mort. On couvre de bouquets la cantatrice qui se relève après le tomber de rideau. Le "grain de la voix" cher à Roland Barthes, qui implique « un certain rapport érotique entre la voix et celui qui l'écoute », habille-t-il un symbolique rite sacrificiel ?
En l'amateur d'opéra se cacherait-il, secrètement, un esthète aux fantasmes sadiens ? Mais qui ne sentirait pas les larmes lui monter aux yeux au bouleversant lamento de Didon chez Purcell ?

   
Une femme meurt en musique.
Plaisir ou douleur exquise de la beauté ?