Petit florilège des musiques qui broient du noir #2

Avoir et chanter le blues :
"Trouble in mind, I'm blue..."


L'exemple le plus connu de genre musical spécifiquement associé à l'expression d'un sentiment proche de ce que nous appelons le "cafard" est sans doute le blues. Avant de désigner une forme particulière de la musique noire-américaine, le mot lui-même s'applique d'abord à un état émotionnel, probable équivalent du spleen baudelairien et auquel est associé un sentiment d'impuissance.


Qu'il se fasse commentaire de la vie quotidienne, de ses peines et de ses plaisirs, passant du spirituel au trivial, de la plainte à la moquerie, tour-à-tour acerbe, amer, ironique ou obscène, le blues réussit à exprimer une gamme variée d'émotions. Mais il se construit néanmoins toujours sur un arrière-fond de douleur, lié par ses origines mêmes à la misère de la condition –sociale, économique, politique- du Noir américain.

Quelques aspects du blues par Jimmy Yancey, Lightnin' Hopkins, John Lee Hooker et Buddy Guy

Plus largement le terme "blues" peut aussi servir à qualifier une sensibilité, « une certaine qualité d'expression qui passe dans le jeu instrumental ou dans le chant et qui colore la musique d'une intensité particulière » pour citer le dictionnaire du jazz publié sous la direction de Carles & Comolli.
Ainsi Billie Holiday sonne blues à nos oreilles, même lorsqu'elle ne chante pas dans la forme du blues à proprement parler. Brûlant sa vie et son art par les deux bouts, sa voix vibre de toutes les blessures de l'existence. Une insipide bluette sentimentale comme "Time on my hands", issue du répertoire des comédies musicales de Broadway, en devient, comme malgré elle, une ballade plus languide que langoureuse : un petit miracle de fragilité, de grâce et de déchirure à la fois.



Que dire alors de son timbre brisé lorsqu'elle entonne le funèbre "Strange fruit" ? C'est toute la souffrance d'un peuple qui se retrouve dans ces quelques vers qui nous font frémir d'horreur.

« Southern trees bear strange fruit 
Blood on the leaves and blood at the root 
Black bodies swinging in the southern breeze 
Strange fruit hanging from the poplar trees » 

« Les arbres du Sud portent un fruit étrange 
Du sang sur les feuilles et du sang sur les racines 
Des corps noirs se balancent dans la brise du Sud 
Un fruit étrange est suspendu aux peupliers »