« Les sanglots longs des violons... »

 Blues, saudade, hüzün, melancholia : petit florilège des musiques qui broient du noir #1

 

« Dans la vie faut pas s'en faire... »
Voilà qui semble plus facile à dire qu'à faire, justement, si l'on en croit la profusion de chansons qui s'abandonnent à de bien mornes pensées.
Ainsi le répertoire de la chanson dite réaliste se plaît à souligner les bas-côtés de l'existence, n'hésitant pas à rajouter une couche de misérabilisme à l'occasion (un exemple entre mille avec « J'ai le cafard », chanté par Fréhel ou Damia)...

…tandis que Gainsbourg, lui, joue la carte de la distanciation et redouble d'ironie en évoquant la tentation du suicide dans « Quand mon 6.35 me fait les yeux doux » et « Chatterton ».


Tristesse, douleur et morosité appartiennent au fond commun de l'expérience humaine, mais chaque culture élabore sa manière propre de mettre en musique le pathétique.
Tendons l'oreille à la variété de ces pleurs et de ces soupirs musicaux : magyar nõta des tziganes de Hongrie mêlant les larmes à la noce, nostalgie des chants yiddish des ghettos d'Europe centrale et pathétiques chants du rebetiko des bas-fonds grecs, brass bands des funérailles néo-orléanaises qui donnent au deuil des allures de fête, splendeur expressive des lamentations religieuses baroques, madrigaux amoureux et plaintifs de la Renaissance italienne et lieder romantiques à la rêverie parfois morbide... Autant de modalités, vocales ou instrumentales, savantes ou populaires, profanes ou sacrées, de la tristesse en musique.
Petite anthologie de la tristesse en musique...

Parce qu'elle permet, sous une forme stylisée, d'exprimer et de partager des sentiments qui, refoulés, pourraient accabler l'individu, la musique opère comme une véritable catharsis, une médecine de l'âme : on joue alors la tristesse pour éviter que celle-ci ne vous submerge.

C'est par exemple le cas de la « Plaincte faite à Londres pour passer la Mélancolie, la quelle se joüe lentement et à discretion » de Johann Jacob Froberger, publiée en 1656 et qui affiche dans son titre la raison même de sa composition.

Mais il arrive aussi, au-delà de l'anecdote, que la tristesse soit érigée en véritable valeur esthétique ; un état émotionnel à priori considéré comme douloureux vient alors constituer le fondement même d'une poétique originale. Dans de nombreuses traditions musicales, les Muses ont pour nom nostalgie, arrachement, brûlure : saudade du Portugal, supărare des Roms hongrois, hüzün turc, sehnsucht des romantiques allemands, blues afro-américain, hâl persan, duende flamenco.

C'est ainsi qu'un mal de vivre se revendique comme art de vivre.

(à suivre...)